Culture du viol : avoir tellement les yeux dedans qu’on ne la voit plus

Cinéma, Série

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TW : Culture du viol, sujet traumatique abordé

Spoiler Alert : Boardwalk Empire (saison 1), Grey’s Anatomy (1 épisode), Irréversible, Usual Suspects, Game of Thrones (saison 4, épisode 3), How I Met Your Mother (épisode du Naked Man)

J’ai très envie de continuer sur ma lancée féministe avant d’attaquer d’autres pans de lutte contre les oppressions notamment au vue des récents évènements de l’actualité. Entre le procès du Carlton et la polémique sur les touchers vaginaux, on entend ci et là : ce n’est pas un viol c’est une partouse, ce n’est pas un viol c’est un acte médical, ce n’est pas un viol c’est mon cul sur une commode.

Mais c’est quoi, un viol ?  Selon l’article 222-23 du code pénal :

Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol.

Le viol est puni de quinze ans de réclusion criminelle.

J’aimerais tout d’abord qu’on éclate tous d’un rire jaune pour la partie « quinze ans de réclusion criminelle » qu’on ne voit jamais en application, puis qu’on se pose quelques questions.

Quand j’avais 15 ans, j’ai été violée. J’étais dans une salle de bain, c’était le nouvel an, j’ai dit que je ne voulais pas, il m’a dit « trop tard » et il m’a prise de force. Il m’a fallu au bas mot 5 ans pour comprendre le problème. 5 ans pour comprendre pourquoi quand ce garçon posait les mains sur moi, j’avais envie de vomir et de lui arracher les couilles avec les dents. 5 ans. Et en parlant autour de moi, je réalise que je ne suis pas la seule à en arriver là. Pourquoi ?

La réponse apportée par de nombreux membres de la communauté féministe/intersectionnelle est que l’on baigne dans une culture du viol omniprésente qui véhicule une image erronée de ce qu’est un viol et nous maintient pour la plupart dans un déni total. C’est le sujet que je vais tenter d’aborder aujourd’hui dans une espèce de vulgarisation de la culture du viol en deux parties : film et série, puis presse.

Je mettrai des liens plus poussés à la fin de l’article pour celleux qui souhaitent approfondir le sujet.


I – Le viol domestique : ce viol qu’on ne voit pas :

J’adore les séries, je trouve ça génial. C’est un nouvel art graphique pour moi et je suis ravie de pouvoir une fois par semaine m’abreuver d’un nouvel épisode de ma nouvelle fétiche. Quel drame alors quand en plein milieu de mon épisode de Boardwalk Empire, James Darmody se met à violer sa femme sous mes yeux, comme ça, comme pour rire. C’est fourbe, le viol domestique. Ça s’identifie pas très bien. On pourrait croire à du « surprise sex » ou un autre genre d’explications fumantes. Pourtant, quand un homme prend sa femme par surprise sur la table de cuisine, sans à aucun moment chercher une once de consentement et que celle-ci tire une tête qui montre grandement son inconfort, j’appelle ça un viol.

J’appelle ça un viol parce que je sais ce que c’est. Je sais ce que c’est de prier pour que ça s’arrête tout en se sentant pas légitime, parce qu’on ne dit rien, parce qu’on sait que personne ne verra le problème, parce que c’est que 10 minutes, et que 10 minutes, c’est pas grand chose dans une vie même si ça paraît une éternité. Et pourtant, le commun des mortels n’y voit pas de problème, car vous, nous nous sommes habitués à une image totalement erronée du viol et qui est symptomatique de l’utilisation qui en est faite dans la Pop Culture.

Dans les séries et les films, le viol est systématiquement perçu comme un acte violent, mais pas au sens où une victime l’entendrait. Un viol c’est violent par nature, le fait de se faire voler l’utilisation de son corps et la liberté de dire non, c’est horrible. Pourtant, pour les réalisateurs, ça ne semble pas être suffisant. Est-ce pour ajouter plus de tensions ? Pour mettre le spectateur plus mal ? Pour lui faire ressentir un malaise proche de celui de la victime ? En tout cas dans les films, quand il y a viol, il y a du sang partout, au moins une arme pour menacer, un mobile souvent (vengeance ou punition) et souvent, de la séquestration voire de la torture.

Le problème, c’est que dans la réalité véritable, la plupart des viols sont commis dans la sphère privée, par un agresseur que la victime connaît et en qui elle a souvent malheureusement confiance. Aussi, le sang, les armes etc. ça relève bien souvent d’un fantasme qui dédouane ceux qui n’utilisent pas ce genre de stratagèmes pour abuser de leurs victimes. Mais surtout, ça culpabilise horriblement les victimes. Car quand on est abusée sans la menace d’une arme etc. on se sent minoritaire (vu les représentations faites du viol) et coupable, on se sent flouée, idiote, on se dit « mais qu’elle conne, j’aurais pu dire non / le mordre / le menacer avec une lime à ongles ».

D’ailleurs, c’est une idée qui est reprise dans beaucoup de films et de séries que les victimes doivent se défendre. Combien de victimes de viols dans New York Unité Spéciale se mettent au self defense et deviennent de véritables héroïnes d’un épisode pour avoir flanqué une raclée à leur violeur ? Et cette épisode de Grey’s Anatomy (série qu’on va aborder d’ailleurs) où une victime arrache le gland de son violeur et est encensée de tous ? « C’est une battante, grâce à elle on va l’arrêter ». Alors je dis pas, effectivement, quand dans la réalité une personne arrive à échapper à une agression, quelque soit le moyen, c’est super cool 🙂 Sauf que ces représentations posent un problème quand elles ne sont pas contrebalancées par des représentations plus « réalistes » oserai-je dire des cas les plus représentés.

Je m’explique : comme je le disais plus tôt, la majeure partie des viols se passent dans la sphère privée, et sans l’utilisation d’armes impressionnantes. Mais au final, à l’écran, ces cas sont eux peu représentés. Le fait de ne pas voir d’autres cas comme ceux que l’on a pu vivre, mais toujours en voir des pires nous pousse à raviser notre situation. Un peu comme la famille qui n’arrive pas à joindre les deux bouts à qui on dirait « de quel droit tu te plains, tu ne crèves pas de faim comme en Somalie ». Les situations sont tout aussi dramatiques, mais d’un côté on développe la culpabilité, de l’autre la légitimation de la souffrance.


II – Le viol : un instrumentum narratif comme un autre :

Quand on se penche un peu sur les films et séries où les viols sont présents, on finit par dénoter des schémas narratifs. De là à dire qu’on utiliserait le viol comme un rebond de l’histoire, il n’y a qu’un pas que je franchis sans hésitation.

Une des utilisations les plus flagrantes paradoxalement est la réalisation masculine. Explication : il est fréquent de voir dans un film, la justification du comportement de tel ou tel homme par le viol d’une de ses proches. Illustrons par des exemples, le film « Irréversible » du réalisateur sac à merde Gaspard Noé est notamment célèbre pour sa scène choc insoutenable de viol durant 8 minutes (encore une fois, un truc en extérieur, ultra violent, etc) mais paradoxalement, cette scène arrive au milieu de la soupe comme rebond narratif pour expliquer le reste du film. Le film est « monté à l’envers », on remonte dans le temps en suivant un homme et son meilleur ami qui pratique une ultra violence homophobe en plein Paris, sous prétexte d’être à la recherche d’un troisième répondant au savoureux sobriquet « le tenia ». Aucune empathie n’est possible pour les « héros » du film, ce sont des sagouins d’une ultra violence sans nom. Mais soudainement arrive le viol de la femme du personnage principal et alors là … Tout s’explique, tout se justifie, hall d’honneur pour casser la gueule à un tas de figurants au lieu d’être auprès de la victime en train d’agoniser à l’hôpital.

Donc le viol justifie l’ultra violence dans UN film. Ok ça prouve quoi ? (Oui, j’aime me faire les dialogues avec mes détracteurs). Et bien les ami.e.s, laissez moi vous parler un peu du diable. Laissez moi vous parler de Keyser Söze et de ce qui fait de lui une légende. Visiblement, ce brave Keyser rentrait chez lui en Turquie pour trouver sa femme violée, ses enfants violentés, et un gang de hongrois. Que fit-il alors ? Il exécuta les membres du gang et n’en laissa qu’un, puis exécuta sans sommation femme et enfants et relâcha le vil criminel restant pour aller répandre sa légende. Et ainsi naquit le criminel le plus influent du monde selon le film Usual Suspects. Sur la base de l’instrumentum du viol de sa femme, qui une fois souillée ne lui servait à rien, après tout quelle valeur a une femme violée ?

Je pourrais vous citer des tas d’autres exemples, rien qu’il y a deux jours Esprits Criminels justifiait l’épisode psychotique d’un tueur/dessinateur par le fait qu’il vengeait sa copine violée … Mais ce n’est pas ce qu’il faut retenir. Le malheur en soit, c’est pas que l’utilisation du viol soit aussi fréquente, c’est tout simplement qu’elle existe. Accepter qu’on utilise un crime pareil en simple justifications d’actes, comme s’il s’agissait d’un énième élément anodin apporté à l’intrigue, cela revient à minimiser le viol. D’ailleurs qui parmi vous se souvenait qu’Usual Suspects contenait une scène pareille ? Et sincèrement, le film aurait pas été aussi top cool sans cette scène qui met juste mal à l’aise la plupart des personnes traumatisées ?


III – Les agressions sexuelles sont devenues anecdotiques :

On ne va pas évoquer les médias et leurs formules amoindrissantes maintenant car ce sera le sujet du prochain article. Pourtant il y aurait matière à raconter. Mais dans les séries et film, et notamment dans les adaptations, on trouve beaucoup à dire aussi.

Comme exprimé plus tôt, le viol est représenté de manière ultra violente, si bien qu’il nie totalement l’existence des viols domestiques (entre autres) et qu’il participe à la culpabilisation des victimes en véhiculant les idées que « t’aurais pas du sortir seule le soir », « t’aurais pas du être habillée ainsi », « il avait pas d’arme, t’aurais du te défendre » etc. Si bien que lorsqu’il est représenté sous sa forme la plus répandue, il n’est tout simplement pas vu, ou pire, lorsqu’il ne paraît pas servir l’histoire, il est simplement nié.

On va prendre l’exemple de Game of Thrones, avec notamment une scène qui a fait un merveilleux tollé dans la presse (joie dans mon coeur, un pas contre la culture du viol). Dans le livre, lorsque la mort de Joffrey intervient, Jaime n’est pas à Port-Réal. Il revient au moment de l’enterrement et bien que la situation n’y prête pas, Cersei, qui le croyait mort, accueille son retour par un désir fulgurant et la relation est consentie. Dans la série, Jaime est revenu depuis quelques semaines et est tombé en disgrâce auprès de Cersei. Il viole alors sa soeur sur le cadavre de leur fils en se plaignant des dieux qui le font aimer une femme aussi cruelle. Déjà c’est clairement un viol de punition (viol dans le but de réprimer un comportement) mais en plus, Cersei proteste tout du long et se débat, ce qui ne permet aucune équivoque possible. Lisez plutôt la réaction du réalisateur Alex Graves …

“A la fin, ça devient consenti car tout ce qui les concerne débouche sur un truc bandant, particulièrement quand il s’agit d’une lutte de pouvoir. (…) C’est une de mes scènes préférées.”

Si vous le voulez bien, continuons à parler poutre dans l’œil en abordant le sujet du Naked Man. J’ai beaucoup ri devant How I Met Your Mother. De toute façon, que ce soit clair, je n’aborde ici quasiment que des supports qui me plaisent (sauf exception, Gaspard Noé, je te conchie). Mais qu’est-ce que j’ai pu m’arracher les cheveux devant cette série … Le naked man donc, est un épisode de HIMYM qui explique une « technique » pour s’envoyer une fille qui consiste à se mettre nu sur le canapé pendant que celle-ci part chercher une boisson. Lorsqu’elle revient, deux possibilités : soit elle est choquée et te demande de partir, soit elle rit et accepte de coucher avec toi. Bon, certains me diront qu’on ne force pas la main de la fille, et ils ont « raison » ce n’est pas un viol. Par contre, c’est une agression sexuelle. Certain.e.s d’entre nous ne supporte plus l’hypersexualisation de la société (le fait d’utiliser des corps nus, souvent de femmes, à tort et travers). Et très sincèrement, si je me trouvais face à une bite en revenant de mon frigo, je le vivrai très mal. L’acte est aussi horriblement hétérocentré et ne prend pas en compte le fait que certain.e.s puissent être asexuelles, mais c’est un autre débat.

Enfin, et c’est là dessus que j’aimerais conclure : le viol est devenu tellement anecdotique qu’il est silencié lorsqu’il n’apporte rien à l’histoire, et même l’Histoire avec un grand H. Dans un article sur le devoir de mémoire, nous parlerons prochainement de l’existence variée de films sur la seconde guerre mondiale. Étant issue d’une famille touchée par cette thématique, je les ai tous vus, ça plus les films sur le débarquement et la libération de Paris. La totale. A la lecture d’un bouquin d’Amélie Nothomb « Acide Sulfurique », je me suis posée une question à laquelle je n’avais jamais songé : « y avait-il des viols dans les camps de concentration ? ». Naïve que je suis … Naïve que je suis je me suis dit que l’idéologie nazie ne prêtait pas trop au fait de s’abaisser à violer une juive. Heureusement, je suis sortie de mon ignorance crasse, mais certainement pas grâce aux œuvres sur le sujet.

Les viols durant la seconde guerre mondiale sont niés à plusieurs reprises : ils sont niés pour ceux perpétrés par l’armée russe lors de l’invasion de l’Allemagne (même si on dispose de plus de documents pour ceux-ci, les rouges ayant été « l’ennemi commun » à l’époque, il fallait bien que les dossiers sortent), ils sont niés pour ceux perpétrés par les GIs, et ils sont niés pour ceux perpétrés par les nazis. Là où la raison du déni des deux premiers se dessine plus aisément : ne pas écorner l’image de sauveurs de soldats venus se battre hors de leur terre contre la barbarie nazie, celle du troisième m’échappait grandement. Les nazis étaient des monstres, tout ce qui peut contribuer à les rendre plus monstrueux encore devrait être su de tous. Et puis je suis tombée sur cette phrase de la directrice du mémorial de Ravensbrück, Insa Eschebach :

«Il y avait des directives pour que l’on n’aborde pas ce sujet avec les visiteurs. On voulait éviter les malentendus, empêcher que la présence de bordels fausse la vision et relativise l’horreur des camps.»

Et j’ai compris qu’on en était là, que l’existence de bordels où on enrôlait de force des prisonnières et où on les violait 20 fois par jours (et il ne s’agit pas là d’un constat abolitionniste, la prostitution est un choix, la prostitution forcée est un viol) relativisait l’horreur des camps.

Le viol relativise l’horreur, le viol est un medium, le viol est un acte violent qui sert ou dessert tel entité masculine. Le viol n’est jamais une affaire de victimes. Voila ce que la culture du viol nous enseigne.


 

Sources pour certains faits cités ici :

– A propos d’irréversible et de l’utilisation des femmes violées comme medium : http://seenthis.net/messages/143846

– A propos de la silenciation des viols durant la seconde guerre mondiale : http://www.liberation.fr/monde/2009/09/10/dans-les-bordels-des-camps-nazis_580557; http://www.lemonde.fr/international/article/2013/07/18/mary-louise-roberts-le-sexe-a-ete-une-maniere-d-assurer-la-domination-americaine_3449668_3210.html

Pour aller plus loin sur la culture du viol : http://antisexisme.net/2013/01/09/cultures-du-viol-1/ ; http://www.crepegeorgette.com/2013/03/20/comprendre-culture-viol/.

 

 

 

 

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